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AVENIR DES STRUCTURES
Congrès
1991 - Tribune 1140

 

Rapporteur:    Georges KUNTZ

Groupe de travail: Michel BANETTE, Jacques BARTHELEMY, Henri LAHOUSSE, Philippe MARCHESINI

Avec la collaboration de: Pascal MARTIN-GOUSSET

 

I - LES STRUCTURESOutils de la puissance publique et cadre de travail des personnels

Dire que le monde dans lequel nous évoluons est extrêmement complexe est une banalité. Commencer à réfléchir à ce qui fait cette complexité, un travail de titan. L'année 1991 a été particulièrement riche en annonces et en mises en œuvre de réformes des structures administratives et politiques françaises, et ce vaste chantier est presque par essence éternellement inachevé. L'Etat, considérant ces structures comme des outils (de gouvernement, de développement, de justice sociale, etc...) affiche plus que jamais son ambition de les moderniser, à l'image de l'industriel améliorant sans cesse son parc de machines-outils.

Mais point de catalogue pour choisir les "nouveaux modèles", et pas facile de se débarrasser des "vieux rossignols". Transformer sur le terrain la volonté de doter la France de nouvelles structures est ardu.

La réflexion que nous vous proposons ici veut vous apporter quelques repères et quelques pistes pour vous aider à mieux comprendre ce qui se passe et à réfléchir aux positions que nous devons prendre et tenir pour garantir que ces évolutions ne se fassent pas au détriment de la qualité du service public et de la condition des personnels.

En effet, nous sommes "aux premières loges" de tous ces changements : la multiplicité de nos interlocuteurs "hommes de pouvoir" nous oblige à bien comprendre la place et les prérogatives de chacun ; la multiplicité des structures administratives dans lesquelles nous travaillons fait que chaque projet de réforme nous concerne, de près ou de loin.

Le travail que nous vous présentons ici ne saurait être exhaustif de tous les changements actuellement à l'œuvre dans notre société: il ne peut être à jour des dernières évolutions des structures dans lesquelles nous sommes impliqués, les changements étant permanents ; il ne prétend pas non plus faire le tour de la question, tant elle est vaste. Nous traiterons en particulier du développement des établissements publics industriels et commerciaux, sujet qui avec l'apparition de Voies Navigables de France nous concerne de près, de même que le dossier de l'environnement, mis en avant de notre actualité par la création des D.I.R.EN. Autre sujet qui nous touche : le rapprochement des D.D.E. et des D.D.A.F., même si son acuité s'est un peu émoussée depuis le début de l'année. Voilà pour les structures de l'administration. En ce qui concerne les structures politiques, nous évoquerons la loi Joxe et ses conséquences prévisibles.

S'agissant de notre cadre de travail quotidien, et surtout de notre façon de concevoir l'exercice de nos métiers, nous nous sommes vite aperçu que les sensibilités individuelles apportent une certaine richesse à la réflexion, mais aussi conduisent à des analyses parfois contradictoires qu'il n'est pas temps de vouloir rapprocher : nous avons choisi de les exposer et de les respecter. Ce rapport pourra donc vous sembler contenir des contradictions... il est ainsi (toutes proportions gardées) à l'image des structures et des hommes qui les composent.

Au cours de l'année qui va commencer, ces analyses doivent nourrir votre réflexion individuelle d'abord, ouvrir des débats en sections, et apporter à notre corps la matière nécessaire aux choix que nous devrons faire.

 

II - PUISSANCE ET DEVOUEMENT : L'Etat et le service public

Nous commençons par un peu de théorie, pour placer les évolutions concrètes des structures qui nous concernent dans le cadre général de l'évolution de la notion d'exercice du pouvoir et d'évolution du service public.

Lorsqu'on parle de démocratie, on se heurte vite à la question de l'exercice de celle-ci, et son modèle "idéal", où le peuple tout entier se réunissait sur l'agora de l'antique Athènes, a évolué dans deux directions assez différentes au cours de l'histoire.

D'une part, un schéma dans lequel le "peuple" (notion qui mériterait de nous pousser à relire Rousseau pour être bien comprise) donne à l'État le pouvoir absolu. Ainsi légitimé, I'Etat délègue à ses substructures des parcelles de pouvoir parfaitement délimitées.

Ainsi, la vision française de l'État associe-t-elle étroitement à celui-ci l'existence d'une autorité indiscutable, légitimant une omnipotence de fait. Cette approche, illustrée récemment par la constitution gaullienne de la République, est enracinée très profondément dans notre histoire, puisqu'elle prime depuis plus d'un demi-millénaire: les révolutions de 1789 à 1870 n'ont en effet eu pour conséquence (sur la structure du pouvoir) que de substituer au schéma "Roi - pouvoir d'origine divine" son image "République - pouvoir d'essence populaire" .

D'autre part, un schéma dans lequel la légitimité provient des individus, qui délèguent leur pouvoir individuel à une succession d'échelons (cantons, républiques) qui aboutit finalement à l'État. Celui-ci ne dispose alors du pouvoir que dans les domaines relevant de l'intérêt supérieur de la Nation. C'est le schéma suisse dans lequel le pouvoir appartient en dernier ressort au(x) citoyen(s), qui peut influer directement sur l'action des entités détentrices de pouvoir par le biais de référendum d'initiative populaire.

Entre un "Etat providence" et un "Etat partenaire", ces deux schémas s'opposent fortement, et conduisent à des conceptions très différentes de l'exercice du pouvoir et des structures permettant cet exercice.

Mais il n'y a pas stabilité absolue dans ce domaine : la révolution de 1789 aurait pu entraîner un bouleversement du schéma français si les girondins l'avaient emporté ; les capétiens étaient au départ des rois élus par leurs vassaux, et ce n'a pas été le moindre de leurs exploits de retourner cette situation à leur avantage.

Aujourd'hui, les limites du schéma français apparaissent de plus en plus fortement par une certaine forme de contre-pouvoir que prennent les associations de toutes sortes dès lors que les individus ne sentent pas dans l'expression du suffrage universel la possibilité d'être réellement pris en considération; et l'effritement des taux de participation aux élections législatives en est le témoin.

De plus, la construction européenne, par l'édiction de règles supra-nationales, entame de façon significative le pouvoir de l'Etat "par le haut" ; la tendance actuelle qui pourrait déboucher sur la création future d'une confédération d'Etats, voire ultérieurement sur une fédération, ne présente pas, loin s'en faut, de signes de faiblesse.

La décentralisation amorcée en 1981 peut faire penser à une tentative d'évolution d'un schéma vers l'autre, mais la logique du pouvoir appartenant à l'Etat n'a pas encore véritablement changé : les collectivités locales se sont vues dotées de "compétences" (par émanation de l'Etat et sous son contrôle) plutôt que de pouvoirs.

Cependant, l'évolution existe dans le discours, à tous les niveaux : le mot partenaire revient de plus en plus souvent; les élus n'ont plus pour devoir de défendre un intérêt supérieur qu'ils sont souvent seuls à percevoir, mais de travailler à la réalisation des attentes de la population, celle-ci s'étant dotée de structures associatives permettant l'expression de ses besoins et de ses espérances. Et l'Etat, n'étant dans de nombreux domaines plus que partiellement intéressé aux conséquences des décisions à prendre, est effectivement amené à ne plus se comporter dans le processus de prise de décisions et d'applications de celles-ci que comme un partenaire, mis de fait à égalité avec les autres intervenants : collectivités territoriales, mais aussi entreprises, associations...

Avec cette nouvelle donne, on ne pourra plus parler de politique de l'Etat, mais de politiques au pluriel, dans la mesure où l'existence de partenaires des décisions est inséparable de celle de choix alternatifs, dont la légitimité ne se mesure plus à l'aune de la seule volonté de l'Etat.

Mais attention, le schéma de l'Etat partenaire n'est pas sans inconvénients, en particulier en matière d'efficacité de développement, la recherche de compromis entre partenaires opposés pouvant déboucher sur un blocage et personne n'étant investi du rôle d'arbitre suprême. Il serait naïf de voir dans ces deux systèmes un "bon" et un "mauvais", et de considérer que passer du premier au second est une panacée. Nous entrons ici dans le domaine de la philosophie politique. Nous proposons à votre réflexion, dans l'encadré sur le principe de subsidiarité, une théorie bâtie sur la notion de dignité humaine...

 

Le principe de subsidiarité

Sa définition est tirée de l'encyclique de Pie Xl, Quadragesimo Anno, de 1931: "De même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur propre initiative et par leurs propres moyens, aussi ce serait commettre une injustice, en même temps que de troubler de manière très dommageable l'ordre social que de retirer aux groupements d'ordre inférieur; pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux mêmes."

Ainsi, l'autorité la plus haute ne doit intervenir que là où l'autorité plus restreinte ne peut plus pourvoir. Par exemple, I'Etat détermine la politique étrangère, mais ne doit pas construire de voitures puisque les entrepreneurs en sont capables ; et l'entrepreneur lui même, auquel l'Etat laisse liberté pour organiser la fabrication et la vente d'un produit, n'a pas à gérer la vie quotidienne des salariés de son entreprise, dans la mesure où ceux-ci sont à la fois aptes à cette gestion et davantage concernés. La liberté d'agir est essentielle, l'autorité répond seulement à une nécessité, quand la liberté ne suffit pas. C'est la notion de suppléance.

Mais la notion de subsidiarité englobe également celle de secours : l'autorité la plus haute, celle qui possède davantage de moyens et de prérogatives, se doit d'aider l'instance plus restreinte quand celle-ci en éprouve le besoin. L'Etat ne doit pas seulement garantir et protéger les libertés, mais aussi leur offrir les moyens qui leur manqueraient pour s'accomplir.

Par le cumul de ces deux significations distinctes, le principe de subsidiarité ne s'identifie totalement à aucun système politique ou économique—ni au libéralisme, ni au socialisme, entre autres—, mais conserve une originalité propre.

D'après un texte de Chantal Millon-Delsol, professeur à l'Université de Paris-XII.

 

L'histoire nous montre que bien d'autres théories ont (ou ont eu...) leur place dans la constitution et l'organisation des systèmes politiques.
Une des expressions du pouvoir de l'État, dans notre pays, c'est sa façon de répartir les compétences en matière de services publics. L'initiative de créer un service public et d'en assurer le contrôle, directement ou non, revient exclusivement à la puissance publique. Celle-ci comporte quatre têtes : I'Etat, la région, le département, la commune. Le maître du jeu, dans le pays unitaire qu'est la France, reste l'État : c'est lui (le législateur notamment) qui répartit entre les échelons territoriaux les compétences en matière de service public, cette répartition étant réversible (pour la définition du service public, voir encadré).

Nous avons décrit l'évolution actuelle de l'État "jacobin" vers un Etat "partenaire". Quelles peuvent être les conséquences de cette évolution sur la structure administrative de l'État ?

Lorsque la philosophie du pouvoir était claire, la lisibilité des structures, au moins dans son principe, était simple : le pouvoir étant "en haut", celles-ci ne pouvaient être qu'arborescentes et hiérarchisées. Par la force de l'habitude, mais aussi (surtout ?) par celle de sa compétence, I'Administration a été peu à peu assimilée au pouvoir, et ce d'autant plus naturellement qu'elle était amenée à préparer -et donc à influer sur- les décisions qu'elle devait ensuite faire appliquer.

La situation de "partenariat" oblige à repenser les structures dans deux directions qui peuvent apparaître comme contradictoires : plus grande autonomie et accroissement de l'autorité préfectorale. Nous y reviendrons plus loin, dans le chapitre consacré à la loi Joxe.

 

Caractéristiques générales des services publics

La raison d'être des structures auxquelles le peuple délègue son pouvoir est d'organiser et de faire fonctionner les services publics nécessaires à la réalisation et au développement de l'interdépendance sociale.

L'attribution de la nature de "service public" à une activité appartient au pouvoir de décision de la puissance publique, dont le devoir est d'exprimer la volonté majoritaire de l'électorat. On retiendra que la nature de "service public" suppose la satisfaction simultanée des trois critères suivants (selon la jurisprudence)
- être une activité d'intérêt général ;
- être une activité assumée par la personne publique ou sous son contrôle ;
- être une activité soumise à un régime exorbitant du droit privé.

Le premier de ces critères mérite un essai d'analyse : qu'est-ce donc qu'une activité d'intérêt général ? On distinguera des activités de deux ordres:
- les activités régaliennes (considérées comme inhérentes au pouvoir de l'État) de police administrative, qui règlent et contrôlent le jeu des opérations privées ou qui sont liées à la souveraineté de l'État ;
- les activités de mission de service sans lesquelles de nombreuses actions seraient impossibles.

Si la nature des premières souffre peu de discussion (Défense Justice, Police, Voirie,...), celle des secondes est subordonnée à l'intensité de la présence de la notion d'intérêt général. Cela conduit aux types d'activités suivants:
- la satisfaction de besoins collectifs, pour laquelle apparaît la nécessité d'une péréquation entre intérêts individuels (I'intérêt collectif n'étant pas la somme de ces derniers) ;
- les services nécessaires à l'exercice des missions de police de l'État et des personnes publiques ;
- les actions tendant à réduire les inégalités sociales ;
- les actions favorisant le développement économique ;
- les actions relevant de l'aménagement du territoire ;
- les actions où la puissance publique pallie la carence de l'initiative privée en organisant un service public.

Le caractère de service public peut donc n'être que conjoncturel de nouveaux services naissent, d'anciens peuvent disparaître. Il doit s'agir en tout état de cause, d'une volonté collective sociale portée par la puissance publique.


La diminution relative du pouvoir de l'État pourrait encore s'accompagner d'une décroissance de ses effectifs, compensée sans doute largement par un accroissement en volume des structures des collectivités locales et la transformation possible d'une partie des services en entités parapubliques (E.P.I.C., S.E.M....). Là aussi, nous y reviendrons plus loin, dans le chapitre consacré aux établissements publics.

La politisation croissante des décisions entraîne un accroissement du poids des cabinets, au détriment de celui des directeurs d'administration centrale.

Le devenir de l'entité régionale est sans doute celui qui mérite le plus d'attention. En effet, celle-ci est susceptible de revendiquer, dans de nombreux domaines, les compétences de l'État, et ne s'en prive pas. L'exemple de la Corse paraît à ce sujet très instructif, dans la mesure où il représente un laboratoire significatif de ce que pourrait être la décentralisation de demain. Dans le chapitre consacré à la loi Joxe, nous entamons une réflexion sur ce sujet.

Soyez attentifs : dans la suite du texte, le terme "service public" est employé au sens originel et non pas au sen d'organisme remplissant des missions de service public. Ainsi, notre Ministère n'est pas, à proprement parler, un service public, mais il remplit plusieurs missions de service public.

Pour bien comprendre les évolutions de certaines structures, il est important de détailler les modes d'organisation et de gestion des services publics: c'est par le biais du contentieux que se dégage une distinction entre deux types de services publics, les S.P.A. (Services Publics Administratifs) et les S.P.I.C. (Services Publics à caractère Industriel et Commercial).

Les premiers satisfont les fonctions fondamentales de l'État: le fisc, la défense nationale, la justice, la police, la voirie, I'enseignement... Ils sont régis essentiellement par le droit administratif (la voirie est bien une fonction fondamentale de l'État, puisque le réseau de communication entre métropoles constitue un élément fondateur de l'État : il n'est qu'à regarder l'importance qu'accordaient les Romains à construire leurs fameuses voies romaines pour comprendre à quel point cet élément était constitutif de leur empire).

Les seconds assurent des activités pouvant aussi relever de l'initiative privée, mais traditionnellement assurées par la personne publique. Le droit privé occupe une place significative dans leur contentieux.

Il faut observer qu'il n'y a pas correspondance entre S.P.A. et E.P.A. (Etablissement Public Administratif) et S.P.I.C. et E.P.I.C. (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial). Il serait vain de créer un E.P.I.C. pour échapper aux règles du droit administratif. Par exemple, un E.P.I.C. compétent en matière de voirie remplit un rôle de pourvoyeur d'un Service Public Administratif.

Sans entrer dans le détail, il est utile de rappeler quels sont les différents types de gestion des services publics.

· La régie directe:

C'est le mode de gestion du service public par des fonctionnaires d'une collectivité publique. Les services publics administratifs sont bien sûr les mieux à même d'être gérés de la sorte, mais des S.P.I.C. peuvent aussi bénéficier de ce type de gestion (service des eaux...).

Il existe de nombreuses variations sur le thème, dont la principale est la création d'établissements publics. Ce cas est étudié plus loin.

Dans le cas de la régie directe simple, le service public concerné ne possède aucune autonomie financière. Mais la puissance publique peut créer soit un budget annexe, qui permet d'individualiser les recettes et les dépenses, ou un compte de commerce qui offre la souplesse de pouvoir inscrire au budget des sommes évaluatives et non limitatives. Les communes peuvent aussi organiser, pour les S.P.I.C., des régies à autonomie financière dotées d'un directeur et d'un conseil d'exploitation.

Le choix de la régie s'explique par la maîtrise totale du service, la synergie apportée par une politique globale de l'ensemble des services publics gérés en régie, la possibilité pour la collectivité de subventionner discrètement le service. Par contre ce dispositif est habituellement critiqué pour son manque de souplesse dans le fonctionnement, ses lenteurs administratives, sa difficulté pour employer des personnels qualifiés et le souci quotidien qu'elle impose aux élus.

· La gestion par des personnes privées :

La personne publique peut confier à une personne privée la gestion d'un service public. Cette possibilité n'est pas envisageable pour les services publics ayant un caractère régalien (justice, défense, fisc, police...) ou intimement lié à la puissance publique (état-civil, délivrance de diplômes nationaux. . .).

Deux types de procédures : I'investiture statutaire et l'investiture contractuelle.

Dans le premier cas, la personne privée est créée par les pouvoirs publics ( l'Etat, en général) et chargée unilatéralement de la gestion du service public (un S.P.A. le plus souvent) : caisses de sécurité sociale, fédérations sportives...

Dans le second, la gestion du service public est confiée par une personne publique à une personne (physique ou morale) de droit privé sur la base d'un contrat. Ce mode de gestion est couramment utilisé pour les S.P.I.C., mais est également applicable à un S.P.A. (par exemple les pompes funèbres ou les autoroutes). Le choix de la personne privée est aujourd'hui libre, mais il n'est pas exclu que la commission européenne fasse inclure la dévolution de ces contrats dans le cadre des procédures d'attribution des marchés publics.


· La gestion par des entreprises publiques :

Mentionnons l'existence d'entreprises industrielles et commerciales dont le capital est majoritairement public (en général national).

· Les établissements publics :

Ils font l'objet du chapitre suivant.

 


III – SOUPLESSE ET …. JUSTICE ? ….Les établissements publics et l’égalité du citoyen (et des personnels)


L'établissement public est une personne morale de droit public dont la vocation normale est d'assurer la gestion d'un service public qui lui a été confiée par la puissance publique (Etat, collectivités locales) (voir encadré).

Ce mode de gestion a pris beaucoup d'extension depuis cinquante ans : on dénombre pas moins de 1.100 Etablissements Publics Administratifs et 81 Etablissements Publics Industriels et Commerciaux. Les E.P.A. ont en principe vocation à gérer un service public administratif, et les E.P.I.C. un service public à caractère industriel et commercial, mais l'expérience montre qu'il n'y a pas identité formelle.

Des critiques régulières (Conseil d'État, Cours des Comptes) s'élèvent contre ce procédé de gestion : démantèlement de l'État au profit d'établissements qu'il contrôle plus ou moins, risques de gaspillage financier, expressions excessives d'intérêts corporatistes particuliers dans les comités d'établissements.

La création d'un établissement public ressemble souvent à un échappatoire de l'Administration face aux difficultés de gestion d'un service public.

Prendre une position définitive sur le sujet, serait faire preuve d'archaïsme si elle était défavorable, ou d'aveuglement si elle était favorable. L'examen des avantages et des inconvénients de ces structures doit nous conduire à quelque nuance dans le jugement.

 

Les établissements publics

Rappel juridique :

L'innovation fondamentale introduite par la Constitution de 1958 est de définir les domaines respectifs de la loi et du règlement. De fait, le domaine législatif, par l'article 34 de la Constitution, est décrit de façon limitative. De plus, une distinction est faite entre des "matières" dont la loi "fixe les règles" et qui dépendent donc intégralement d'elle, et d'autres dont la loi ne fixe que les ' "principes fondamentaux" et dont les règles relèvent du pouvoir exécutif. L'article 37 de la constitution dispose que les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.

Relèvent ainsi du domaine législatif qui fixe les règles :

- la création de catégories d'établissements publics ;
- les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires et militaires de l'État ;
- les nationalisations et les transferts de propriété d'entreprises du service public au secteur privé.

Relèvent du domaine législatif qui fixe les principes généraux :

- la libre administration des collectivités locales ;
- leurs compétences et leurs ressources.

On voit donc que la création ou la suppression d'un établissement public est de la compétence du pouvoir réglementaire du gouvernement. A titre d'exemple, la modification des missions de l'O.N.N. relevait bien du domaine législatif (modification du service public), mais les conditions d'exercice de ses missions de service public relève du domaine réglementaire.

Fonctionnement des établissements publics :

L'E.P. dispose d'une autonomie financière.

Composé de membres élus ou nommés, I'organe délibérant à la possibilité de réunir des délégués de la collectivité de rattachement, des représentants des usagers, des personnes compétentes, des représentants des agents.

L'autonomie financière des E.P.A. a pour support un budget voté par l'organe délibérant et soumis soit à l'approbation du ministre de tutelle, soit à un contrôle de légalité similaire à celui exercé sur les collectivités locales.

L'autonomie financière des E.P.I.C. dotés d'un comptable public repose sur un état de prévision, limitatif quant aux dépenses I d'investissement et de gestion interne, mais non en ce qui I concerne les dépenses d'exploitation. Cet état est préparé par le Directeur, voté par l'organe délibérant et approuvé par le I ministre de tutelle ou soumis au contrôle de légalité.

Les E.P.I.C. dépourvus de comptable public sont financièrement gérés suivant les règles applicables aux sociétés industrielles et commerciales (E.D.F, S.N.C.F., R.A.T.P....).

Toutefois, seuls les établissements disposant de ressources propres et non tributaires de subventions peuvent prétendre à  une véritable autonomie financière. En tout état de cause, la collectivité de rattachement impose des contraintes au nom du service public géré et laisse en fait une véritable autonomie bien plus dans la gestion quotidienne que dans la politique générale.

Enfin, un E.P. obéit au principe de spécialité: il a la compétence de gérer un ou plusieurs services publics strictement énumérés dans ses statuts. L'E.P. est en quelque sorte une personne publique spécialisée.

 

D'abord, beaucoup sont convaincus que, parmi les modes d'accueils actuels des services publics, ce mode de gestion offre une structure d'accueil efficace. L'argumentation est classique : sans vouloir faire le procès d'une administration qui remplit sans doute mieux son rôle que beaucoup ne le clament, on peut constater que, depuis la fin du XlXe siècle, le secteur des services publics est en constant accroissement. Sous la pression des citoyens, cette extension a accompagné la complexification de la société apportée par la concentration urbaine et le développement des technologies. L'échelle atteinte par ce système est telle qu'elle dépasse les limites de l'entendement de l'homme, rendant de plus en plus irresponsables de fait ceux qui sont responsables de droit. Il n'est raisonnablement pas possible de gérer de façon centralisée 56 millions de personnes dans la société complexe d'aujourd'hui.

Voici les théories qui prévalent à la création d'un établissement public...

...administratif :
- alléger le poids de la tutelle ministérielle, en créant des "unités administratives autonomes" (cela sous entend l'opposition entre autonomie et "rigidité de la fonction publique");
-mettre en place un budget global.

...industriel et commercial :
- le même souci d'alléger le poids de la tutelle ;
- une liberté supplémentaire de gestion, le budget global étant remplacé par l'évaluation prévisionnelle des recettes et des dépenses. Cela renvoit bien entendu à la notion fondamentale que son financement est assuré par une redevance de l'usager et non par l'impôt.

Mais il ne faut pas en déduire que la création d'un établissement public est systématiquement une réduction d'échelle de l'expression du pouvoir, un rapprochement du schéma d'État français vers le modèle suisse. En effet, la collectivité qui crée l'E.P. ampute son Administration de ce domaine de service public avec la réduction des problèmes que cela suppose, mais conserve le contrôle de l'E.P. et donc du service public qu'il dispense. Voilà qui va conduire, petit à petit, à la création de structures de contrôles d'autant plus musclées que le politique percevra l'enjeu de diriger la manière de rendre le service public. En effet, il s'avère que, comme dans tout couple exécutif/organe délibérant, la direction de l'E.P. efface souvent ceux qui délibèrent. La compétence technique et la connaissance des dossiers sont des armes redoutables dans les mains de techniciens se comportant en technocrates.

On ne peut donc affirmer qu'il y a désengagement politique de la collectivité lors de la création d'un E.P. que dans la mesure où on doute qu'elle se dote des moyens d'exercer pleinement le contrôle de celui-ci.

La question du financement est plus délicate. Nous avons dit que la création des E.P.I.C. renvoit à la notion de financement par redevance de l'usager et non par l'impôt. Oubliant la notion de solidarité qui devrait prévaloir dans la distribution des services publics, on parle de mesure de justice, où paye celui qui bénéficie du service... Mais ne s'agit-il pas plutôt d'une manière de contourner la règle budgétaire de non-affectation des recettes à une dépense donnée, et d'une manière de dégager de nouvelles recettes sans augmenter la "pression fiscale" ?

Or cette règle budgétaire garantit au législateur le contrôle total des finances de l'État lors du vote annuel du budget, alors que les mécanismes de tutelle des E.P.I.C. reposent une fois de plus la question du transfert du pouvoir vers les technocrates. Là aussi, nous connaissons trop ses contraintes pour défendre cette règle avec acharnement, mais n'oublions pas les garanties qu'elle apporte pour réfléchir à la meilleure manière de l'assouplir.

D'autre part, la pression fiscale est un thème douloureux du débat politique s'il en est: les décisions prises pour en sortir ne sont pas toujours` les plus raisonnables... Notre position doit bien être d'exiger un "parler vrai" exempt de toute démagogie, dans la justification des décisions sur l'évolution des structures.

La construction européenne ouvre largement le débat : un allemand roulant sur une autoroute dans son pays est un citoyen bénéficiant d'une partie du réseau de voirie nationale ; un français sur une autoroute française est un usager payant directement le service public dont il bénéficie, voire finançant la construction de tronçons nouveaux qu'il n'empruntera peut-être jamais.

Aussi affirmons-nous qu'il serait utile, avant de poursuivre dans la voie de la création de nouveaux E.P.I.C., de clarifier la question des coûts et des modes de financement des services publics. Notre avis est que doit rester financé collectivement "ce qui est indispensable", cette notion elle même étant bien entendu sujette à débat. Et l'État doit conserver les moyens de maîtriser la politique et les coûts de ces services publics : céder à la pression pour améliorer au delà du nécessaire un service, sans assumer le financement de celui-ci est une des pires formes de démagogie.

On notera que la même question des coûts et modes de financement se pose au niveau des transferts de compétences de l'État vers les collectivités locales dans le cadre de la décentralisation : les transferts de ressources sont-ils à la hauteur des charges ainsi "offertes" ? On pourrait souhaiter que les hommes politiques évacuent du débat qui les oppose la course aux services publics alors qu'ils semblent oublier le volet du financement de ceux-ci. Et lorsque la pression des citoyens exigeant une amélioration, voire une création, d'un service public (ce qui conduit à la recherche de nouvelles ressources nécessaires pour atteindre le résultat demandé) s'exerce, ne devraient-ils pas davantage développer l'aspect financier d'une telle opération ? En effet, la manière (impôt ou redevance) n'est pas neutre sur l'affichage politique de l'évolution du coût de la vie, et financer des services publics par la redevance au lieu de l'impôt est un tour de passe-passe inadmissible.

Un autre aspect important est le statut des personnels : il est régit de façon différente dans les E.P.A. et les E.P.I.C.

 

Dans les E.P.A.: ce type d'établissement est soumis aux règles de droit public ; les personnels sont donc régis par un statut de droit public (statut général, particulier ou spécial). Au sein d'un E.P.A. cohabitent :

- des fonctionnaires ;
- des personnels contractuels de droit public ;
- des contractuels de droit privé (ne concourant pas directement à des missions de service public).

La dérive du système est possible, puisque la loi de 84 (dispositions statutaires de la Fonction Publique d'État) permet à l'Administration de recruter des personnels contractuels, et que la loi du 30 juillet 1987 permet la reconduction sans limitation de contrats de trois ans, et le recrutement de contractuels de catégorie A pour les besoins du service. Ces dispositions conduisent à une défonctionnarisation évidente: à titre d'exemple, l'A.N.P.E. qui est un E.P.A. créé en 1967 avait en 1972 autant de fonctionnaires que de contractuels; en 1990, elle comptait 11.000 contractuels pour 800 fonctionnaires. A la logique de carrière qui est le principe fondamental qui régit le statut de fonctionnaire se substitue progressivement celle de l'emploi.

Dans les E.P.I.C.: la loi de 1984 prévoit que ceux-ci ne peuvent recruter des fonctionnaires. De même les contractuels de droit public ne peuvent, en gardant leur qualité, y exercer un emploi. Le personnel relève donc du droit privé, à deux exceptions près : le directeur et le comptable.

Qu'advient-il de la situation des personnels en cas de transformation de structure du service public qu'ils contribuent à assurer ?

En décembre 1986, le Conseil d'État se voyait confier la mission de définir les modes opératoires conformes au droit et aux intérêts en présence lors de la transformation d'une administration en E.P., voire dans une seconde étape en société anonyme, ou lors de la suppression d'un E.P.

· Transformation d'un service public en E.P.A. : les fonctionnaires conservent leur statut, mais au sein de la nouvelle unité autonome, ils sont :
- soit mis à disposition (et dépendent donc de leur administration d'origine en matière de rémunération et d'avancement) ;
- soit détachés (ils deviennent alors des salariés de l'E.P.A.).
Dans les deux cas, ils se trouvent "isolés" au milieu de contractuels en général mieux rémunérés pour le même emploi. Il faut surtout noter que ces deux positions (mise à disposition ou détachement) sont facilement révocables de par la volonté de l'autorité de rattachement ou d'emploi.

· Transformation d'un service public (ou d'un E.P.A.) en E.P.I.C.: le Conseil d'État a préconisé le maintien des personnels dans les nouvelles structures. Quant à leur statut, et sauf dispositions spéciales prévues par la loi, il est également maintenu (pour les fonctionnaires), mais la seule position possible est le détachement, position pouvant ou non être combinée avec la mise en voie d'extinction du corps. Sachant qu'un E.P.I.C. ne peut recruter de fonctionnaire, la poursuite de carrière devient illusoire.

L'O.N.F. (Office National des Forêts) est l'exception qui confirme la règle, puisque cet E.P.I.C. continue à recruter des fonctionnaires et leur maintient leur statut.

· Transformation d'un E.P.A. ou d'un E.P.I.C. en Société Anonyme : les exemples existants montrent la diversité des solutions, allant de la possibilité de détachement à l'embauche en conservant le statut, avec ou non reclassement dans un corps d'accueil en cas de réintégration dans la Fonction Publique d'État.

· Suppression d'un E.P.: la solution préconisée est le reclassement des fonctionnaires dans d'autres organismes. Mais qu'en serait-il en réalité dans le cadre de la politique de réduction des effectifs de la fonction publique ?

Les cadres sont particulièrement touchés par ces dispositions : ce sont eux qui posent actuellement le plus gros problème de gestion au gouvernement, car ils sont les plus concernés par la disparité de revenus entre secteur public et secteur privé. La création des E.P. à fort taux d'encadrement permet de proposer des salaires de début de carrière plus élevés, et donc de limiter la fuite vers le privé. Mais cela se fait au détriment des garanties habituelles du statut de la Fonction Publique.

Ce tableau, pas très réjouissant, est sans doute l'occasion de rappeler notre attachement au statut de la Fonction Publique. Garantissant à l'agent du service public une carrière, il lui autorise la nécessaire indépendance d'esprit et d'action qui à son tour garantit au citoyen les principes d'égalité de traitement et de neutralité du service public.

Nous ne pouvons considérer qu'au nom d'une efficacité plus grande (qui reste à prouver...), on brade ce statut. L'exemple de ce qui s'est passé cette année pour les voies navigables est flagrant : annoncée comme la panacée au triste état de développement et d'entretien des voies navigables françaises, la création d'un nouvel E.P.I.C. devait comme par magie résoudre les problèmes de financement de la voie d'eau en France, et conduire vers des conditions d'exploitations plus compétitives (sous-entendu que lorsque des fonctionnaires s'en occupent...). Mais les prévisions les plus optimistes faisaient état d'un doublement du budget, passant celui-ci de 400 à 800 millions de francs. Or ce chiffre ne sera pas atteint, loin de là, et les évaluations des besoins se chiffrent, elles, en dizaines de milliards. Combien d'entre nous, parce qu'ils exercent dans les services de la navigation, ont espéré de cette nouvelle organisation la manne nécessaire pour sortir du marasme chronique de ce secteur, sans toujours bien mesurer les risques statutaires encourus par tous les employés de ces services ?

Ne nous leurrons pas : la mise à disposition des 6.000 fonctionnaires des services de la navigation auprès d'un organisme de 300 personnes est une étape transitoire et nécessaire pour permettre de continuer à fonctionner, le temps d'établir des concessions nouvelles pour les réseaux rentables (type C.N.R.), puis de restituer à l'État, confier aux collectivités locales qui voudront bien s'en charger, ou de démanteler toutes les portions de réseau vétustes et "inutiles" dans la logique industrielle et commerciale.

Encore une fois, les problèmes de financement du service public ne seront pas solutionnés comme par magie par la création d'un E.P.I.C., pas plus qu'on y trouverait du jour au lendemain une efficacité et un dynamisme dont on a trop vite fait d'accuser la fonction publique de manquer.

Le sujet mérite plus de discernement : qu'il faille améliorer les conditions d'exercice du service public, trouver de nouvelles sources de financement clairement affichées, traiter les problèmes dans des structures dont l'échelle, modeste, permettrait plus d'efficacité est une chose ; qu'on fasse fi pour cela des garanties données aux personnels du service public et par là même aux usagers de celui-ci et qu'on baptise redevances d'usage de nouvelles taxes en promettant de ne plus augmenter la pression fiscale en est une autre.

Dans notre Ministère, d'autres structures que Voies Navigables de France sont susceptibles de se voir transformées : on parle du réseau technique et de ses C.E.T.E. (Centre d'études Techniques de l'Équipement),... Et si on regarde l'ensemble des services publics assurés par l'État, la liste s'allonge : I'E.P.I.C. serait-il la bouée de sauvetage de toute structure administrative malmenée par la concurrence intérieure ou internationale, ou par une gestion alourdie par des mécanismes administratifs surannés, ou par le poids d'erreurs de gestion des personnels, etc.

Là aussi, soyons vigilants: s'il y a des dysfonctionnements qui pourraient conduire à croire que la solution est dans la transformation en E.P., et en particulier en E.P.I.C., commençons par l'analyse de ces dysfonctionnements et par la recherche de solutions dans le cadre normal des administrations... et si des règles administratives doivent être modifiées au nom de l'efficacité, pourquoi pas ? Si des mécanismes nouveaux doivent être inventés, au nom de quelle logique s'y opposer, sinon celle du respect de la qualité du service public et de la défense du statut des personnels ? Les autres secteurs de l'administration ne pourraient que bénéficier de telles modifications l'exemple bien timide encore des Centres de Responsabilité, ou la mise en œuvre des Comptes de Commerce montre que cela est possible.

 

IV – AMENAGEMENT ET ENVIRONNEMENT :  Le développement et le respect du territoire

Le débat autour de la création des D.I.R.E.N. (Directions Interdépartementales et Régionales de l'Environnement) justifie que ce chapitre fasse partie du présent rapport.

En effet, nos métiers touchent de près ou de loin aux problèmes d'environnement, soit parce que nous les traitons directement (en particulier dans le domaine de l'eau), soit parce que nos actes d'aménageurs renvoient au débat actuel sur la prise en compte de l'environnement. Le sujet est, comme le ministre en charge de ce portefeuille, très médiatique, et il faut essayer de dégager ce qui est mode, ce qui est enjeu de politique "politicienne" et ce qui est fondamental.

On peut proposer deux manières d'expliquer la brusque montée au devant de la scène des préoccupations de l'environnement.

On pourrait concevoir que les progrès économiques, techniques et sociaux de notre société ont permis la satisfaction des besoins "vitaux" de la population, et que peuvent maintenant s'exprimer des besoins "annexes" dans lesquels figurent de façon plus ou moins liées les attentes en matière de loisirs et les préoccupations en matière de qualité de l'environnement.

On pourrait aussi considérer que ces mêmes progrès techniques conduisent tout doucement (?) la planète à la catastrophe écologique, et que l'exigence de voir pris en compte la dimension "qualité de l'environnement" est un geste de survie de la race humaine civilisée et destructrice de son biotope.

La vérité procède sans doute de ces deux conceptions, de même que l'évolution en terme de structures offre une alternative qui n'est pas neutre sur nos métiers :

La première, liée à l'idée d'environnement vécu comme besoin "annexe" fortement exprimé par la population conduit à la création de structures "gardiennes" de l'environnement, clairement identifiées, indépendantes voire dominantes par rapport aux autres structures décisionnelles. La préoccupation de l'environnement a ici un caractère affectif fort, éminemment respectable bien sûr, mais quelque peu irrationnel ; puisque les besoins vitaux sont supposés assouvis, les références à des notions aussi classiques que la croissance, ou son expression dans le développement des voies de communications par exemple, deviennent secondaires. C'est le souhait de groupes de pressions de plus en plus nombreux, dont la légitimité n'est pas toujours établie, mais que le pouvoir en place (ou l'opposition) se doivent de prendre en compte alors que l'équilibre électoral est fort instable. Alors, pour le gouvernement, la réponse en terme de structures doit passer par un effort de communication, et par l'affichage d'une certaine complicité avec ces groupes de pression.

L'attitude de l'actuel ministre de l'environnement répond parfaitement à cette attente, et la création des D.I.R.E.N. procède de ce principe.

La seconde conduit à l'intégration systématique de la prise en compte de l'environnement à tous les niveaux d'études, de décisions et de réalisations de toutes les activités de la nation. L'efficacité prévaut sur le discours, et le fait que l'enjeu soit vital ne permet pas de tergiverser. Voilà qui est bien ambitieux, et il est vrai que nos administrations actuelles affichent rarement une telle prise de conscience, quand bien même elle existerait déjà peu ou prou .

Pourtant, nous pensons que c'est cette seconde voie qui répond le mieux au problème posé. La première présente entre autres inconvénients le risque de voir les conflits environnement/aménagement conduire à un déficit en équipements structurants de notre pays. Il est illusoire de penser que notre économie est assez forte pour s'offrir de tels blocages, à la veille de l'ouverture du grand marché européen et du développement de la concurrence à l'échelle du globe. A ce titre, la comparaison avec la Suisse qui commence à souffrir d'un réel déficit en aménagement de son territoire, et avec l'Espagne, pays de la C.E.E. qui est en train de "refaire" son retard par une politique de développement extrêmement volontariste, est intéressante et pleine d'enseignement.

Nous sommes sans doute parvenus à un stade de développement qui permet d'intégrer la prise en compte de l'environnement dans le plan de développement du pays. Encore faut-il étudier ce plan en tenant compte de cette préoccupation nouvelle, pour permettre de peser dès l'origine les conséquences en terme d'écologie, mais aussi de cadre de vie, des projets d'aménagement et de rendre très tôt les arbitrages permettant d'assurer l'équilibre entre ces deux exigences ou de prendre les dispositions les rendant compatibles. C'est une véritable révolution culturelle, sans doute indispensable si on écoute les cris d'alarme de scientifiques de renom sur l'état de notre planète.

Traduire cela dans les faits demandera sans doute beaucoup de temps et d'efforts, et le passage par les structures spécifiquement consacrées au contrôle à posteriori de la qualité des projets d'aménagement en matière de respect de l'environnement que deviendront les D.I.R.E.N. est inévitable.

Plus vite nous saurons, par de lourds compléments de formation, par une sensibilité éveillée dès les années d'E.N.T.P.E., intégrer complètement cette nouvelle dimension et plus vite nous saurons prouver cette capacité nouvelle et nous défaire de l'image souvent négative qui colle à notre peau de "bétonneurs du paysage", plus vite nous entrerons dans une ère d'équilibre entre nécessaire développement des infrastructures et incontestable qualité des projets d'aménagement en matière de respect de l'environnement.

Il y a 4.000 I.T.P.E. à convertir à l'environnement : voilà un véritable défi pour notre corps. Cette conclusion peut paraître provocatrice à ceux de nos collègues qui, déjà nombreux, maîtrisent ce domaine... mais la conversion est plus qu'une mise à jour des compétences: il s'agit d'acquérir à la fois une tournure d'esprit nouvelle, une manière d'intégrer davantage encore des éléments pluridisciplinaires, une maîtrise du dialogue et de la communication, bref une conscience nouvelle de notre rôle et de notre pouvoir dans la fonction d'aménageur du territoire.

 

IV – D.D.E. ET D.D.A.F. :    La synergie ou le mélange

A la fin de 1990, tout le monde parlait de la fusion des deux services et c'était le branle-bas dans les Administrations et les syndicats. Dossier spectaculaire qui émergerait un peu du magma du "renouveau du service public" cher à Rocard, mais qui par lassitude n'intéresse plus guère les médias.

L'histoire récente montre ce qu'il en reste après un remaniement ministériel... Mais tirons profit de l'occasion pour présenter les réflexions qu'il a suscité, et qui, nous allons le voir, s'articulent étrangement bien avec les analyses sur l'environnement présentées au chapitre précédent. Qui sait, les mêmes causes qui ont pu mettre ce dossier en léthargie peuvent conduire à le remettre au premier plan d'une prochaine actualité.

D.D.A.F et D.R.A.F.: organisation et missions

L'organisation et les missions des D.R.A.F. et des D.D.A.F. sont décrites dans deux décrets du 28 décembre 1984, époque où le Ministre de l'Agriculture était Michel Rocard et le Ministre de  l'Intérieur Pierre Joxe.
Etudions par domaines leurs rôles respectifs :

1°) L'économie agricole

Les D.R.A F. sont chargées notamment :
- du suivi permanent et de l'évaluation des productions et des systèmes de production, des marchés, du tissu régional des industries agricoles et alimentaires ;
- de la mise en œuvre et du contrôle des différentes mesures et formes d'intervention publique qui concourent à l'orientation, au développement et au soutien des productions, à l'amélioration des structures de production, au développement du secteur des industries agricoles et alimentaires, à la promotion de la qualité des produits agricoles et alimentaires, à l'amélioration de la santé animale ;
- de l'élaboration et du suivi des programmes d'actions concertées entre l'État et les collectivités territoriales pour le développement de l'économie agricole de la région.

Les D.D.A.F., elles, sont chargées:
- de la connaissance de l'économie des exploitations, des systèmes de production et des filières de commercialisation et de transformation des produits ;
- de l'orientation des programmes de maîtrise de l'eau ainsi que des programmes d'équipement des exploitations agricoles ;
- de l'exercice des attributions de I'Etat dans les procédures d'aménagement foncier prévues par le code rural ;
- de la mise en œuvre et du contrôle des différentes formes d'aides publiques qui concourent à l'installation de jeunes agriculteurs, au développement des exploitations, à l'amélioration des structures de production et des conditions de, mise sur le marché des produits.

2°) La formation et le développement agricole et rural
Les D.R.A.F. sont chargées :
- de l'evaluation des besoins et des flux des differentes filières de l'enseignement et de la formation professionnelle agricole...;
- de l'animation, I'orientation et la coordination d'enseignement et de formation...;
- de l'animation de programmes régionaux concertés de développement agricole et de recherche appliquée à l'agriculture ;
- de l'élaboration et du suivi d'actions concertées au niveau régional pour l'aménagement de l'espace rural et l'animation du milieu rural.

Les D.D.A.F., elles, se chargent :
-
de l'orientation de programmes départementaux concertés de développement agricole, de démonstrations, d'expérimentation et de diffusion des techniques nouvelles ;
- de la coordination de ces programmes avec les actions qui l concourent à l'amélioration de la mise en marché des produits, au développement des industries agricoles et alimentaires et à leur insertion dans le milieu naturel et le monde rural.

3°) L'aménagement rural et le développement local
Seules les D.D.A.F. sont concernées par :
- l'exercice des attributions du service de l'État associé à l'élaboration et à l'application des documents de développement et d'aménagement, notamment les chartes intercommunales de développement et d'aménagement et des documents d'urbanisme, en particulier ceux qui font intervenir des procédures d'aménagement foncier agricole et rural définies par le code rural ;
- le concours aux collectivités locales pour exercer leurs compétences en matière de développement et d'amènagement, notamment dans le cadre d'une coopération intercomrnunale ainsi qu'en matière d'urbanisme, d'environnement et d'action culturelle ;
- l'appui technique aux collectivités locales pour l'exercice de leurs compétences en matière d'équipement et de gestion des services publics ;
- l'appui technique aux organismes divers et établissements publics de développement, d'aménagement et d'équipement.

4°) La forêt et le bois
Les D.R.A.F. se chargent :
- de l'élaboration et du suivi de l'application d'orientations forestières régionales concernant les différents usages de la forêt la production de bois et l'animation de la filière, ainsi que le conseil technique auprès de centre régional de la production forestière ;
- de la mise en œuvre et du contrôle de l'application des différentes mesures et formes d'intervention publique qui concourent à la protection, l'aménagement et la valorisation du patrimoine forestier, à la mobilisation des produits, au développement des industries de première et de deuxième transformation du bois ;
- de la recherche et à la constatation des infractions à la police forestière.

Les D.D.A.F., elles, se chargent :
- de la mise en œuvre des différentes formes d'intervention publique qui concourent à la sauvegarde et la mise en valeur de l'espace forestier, à l'amélioration des structures de la production forestière et à la mobilisation de ses produits ;
- de l'animation d'actions qui concourent au développement du réseau local des industries du bois ;
- de la recherche et de la constatation des infractions à la police forestière.

5°) L'aménagement des eaux
Le domaine des D.R.A.F. couvre :
- I'inventaire permanent des ressources en eau, I'animation d'actions qui concourent à l'amélioration de la qualité des eaux et l'adéquation de la ressource aux besoins ;
- l'élaboration et l'animation de programmes d'actions concertées au niveau régional pour l'aménagement des rivières et des bassins à dominante rurale, et de la ressource en eaux souterraines ;
- l'établissement et la diffusion de références techniques relatives aux usages agricoles de l'eau.

Le domaine des D.D.A.F. couvre le secteur plus vaste de l'eau et de l'environnement, avec :
- la protection de la nature ;
- la gestion et l'aménagement des eaux ;
- la lutte contre les pollutions et les nuisances ;
- I'organisation et l'exercice de la chasse et de la pêche ;
- la maîtrise de l'eau et la satisfaction des besoins agricoles et ruraux.

6°) La protection des végétaux
Domaine purement réservé aux D.R.A.F.

7°) Les statistiques agricoles
Domaine partagé en fonction du champ d'intervention respectif de chaque service.

8)° La politique sociale agricole
Les D.R.A.F. se chargent :
- de l'application du droit du travail...;
- de l'application de la législation de la protection sociale agricole, avec la tutelle exercée sur les caisses de la mutualité sociale agricole et le contrôle des organismes sociaux ;
- de la connaissance des problèmes d'adaptation des conditions de travail du salariat agricole.

Les D.D.A.F., elles, se chargent :
- de l'application de la législation de la protection sociale agricole ;
- de la connaissance des problèmes d'emploi de la main  d'œuvre agricole.

9°) Les haras
Ce domaine dépend entièrement de la compétence des D.R.A.F.

 

Que peut-on imaginer de fusionner ?

C'est la première question qui vient à l'esprit, tant on semble immédiatement persuadé que cette fusion peut aller de soi entre la D.D.E. et la partie "Génie Rural" des D.D.A.F.... Voilà un domaine bien identifié, que les gens de l'Équipement rencontrent sur le terrain, qui concerne des clients identiques et un domaine purement technique qui paraît compréhensible sans effort. Bref, les D.D.E. (qui rappelons-le sont 15 fois plus grosses que les D.D.A.F.) imaginent bien une fusion en forme d'absorption des cellules Génie Rural des D.D.A.F.

N'en restons pas là ! Les deux organismes méritent d'être comparés plus à fond pour découvrir leurs rôles moins évidents que la maîtrise d'œuvre (voir encadré sur les missions des D.D.A.F. et des D.R.A.F.). On s'aperçoit bien vite que le point de convergence de toutes les activités des deux organismes est l'aménagement du territoire.

Si l'Équipement construit l'espace urbain (y compris dans les villages) et les liaisons inter-agglomérations, les D.D.A.F. "construisent" I'espace rural... et ce rôle va en grandissant, dans la lignée d'une politique communautaire, où l'important n'est plus de produire de l'agro-alimentaire (comme c'est le cas depuis la dernière guerre pour assurer l'approvisionnement), mais de garantir la qualité de l'espace rural. Et si la fonction d'aménagement est commune, les méthodes sont proches dans tous les domaines : arbitrage dans la distribution des subventions (par exemple amélioration de l'habitat, aides à la reconversion ou maintien d'une agriculture de montagne,...), mise à disposition des maîtres d'ouvrage de compétences techniques dans de vastes domaines (voirie, eau, gestion du patrimoine forestier,...), contrôle du respect des textes (application du droit des sols, police des eaux, ...).

Or la notion d'aménagement ne se conçoit plus aujourd'hui indépendamment de celle d'environnement. Le Ministère du même nom prend de l'ampleur avec la création des D.I.R.E.N., et tout le monde, dans les D.D.E. et les D.D.A.F.,: se sent concerné... Concernés par l'environnement, nous l'étions déjà, même si des progrès restent à faire... Concernés par cette nouvelle structure, nous le sommes parce qu'elle va bien sûr interférer avec notre quotidien professionnel. Et même si nous sommes souvent décriés par les écologistes, c'est bien dans nos structures (et quelques autres comme les D.R.I.R., les D.D.A.S.S., ...) que se trouvent les spécialistes de l'environnement, en particulier dans le domaine de l'eau, mais aussi du bruit (dans le réseau technique), du cadre de vie (précisément dans nos métiers d'aménageurs), etc. -

La possible fusion commence à ne plus ressembler à un simple assemblage de services aux compétences proches, mais à la création d'une structure forte consacrée à l'aménagement du territoire et dotée des moyens et compétences pour intégrer avec une garantie de résultat les préoccupations et les techniques de l'environnement. Pourraient nous rejoindre dans ce creuset tout ou partie des autres services déjà cités qui touchent ces domaines de l'aménagement et de l'environnement.

L'enjeu est de taille : plutôt que d'imaginer la création d'organismes censeurs au nom de l'environnement, émanations départementales des D.I.R.E.N., nous concevons le développement de la prise en compte intégrée des problèmes d'environnement dans les partis d'aménagement. Cela suppose une approche plus globale des problèmes qu'actuellement, une place plus grande au dialogue avec les usagers, bref une synergie à une échelle qui serait au moins celle de la réunion des actuelles D.D.E. et D.D.A.F.

 

Pourquoi fusionner ?

Nous venons de voir que l'enjeu est considérable en terme d'avenir du service, d'avenir des métiers... L'analyse pourrait se compléter par une réflexion confirmant l'intérêt de conserver à l'État des services techniques compétents et efficaces, mais cette réflexion sort du strict cadre du rapprochement D.D.E./D.D.A.F. Pour les personnels, I'intérêt de la fusion apparaît dans la diversité des métiers, mais aussi dans une justification forte d'une amélioration du statut des cadres polyvalents remplissant les missions de ces services.

Voilà pour les Directions Départementales... Bien sûr, d'autres éléments sont concernés, essentiellement nos réseaux techniques et nos systèmes de formation à tous les niveaux. Là, il faudra analyser les compétences respectives, assurer une large information sur celles-ci et mettre en place des procédures de travail permettant l'intervention de chacun au profit de tous.

Il faut aussi être attentif à ce qui se passe au niveau régional où D.R.E. et D.R.A.F. ne se positionnent pas sur le même plan. Une analyse complémentaire de ce niveau est sans doute nécessaire pour appréhender la place des D.R.E. et des D.R.A.F. après regroupement des structures départementales,... et après repositionnement de l'expression du pouvoir de l'État au niveau de la région.

 

Comment fusionner ?

Là, le changement de contexte au cours de l'année écoulée rend la réponse difficile : les quinze expériences départementales se trouvent bridées par l'interdiction de faire quoi que ce soit d'irréversible, dans le montage des structures en particulier... cette barrière risque de rendre pesante toute initiative de collaboration, à un moment où des carences en personnel rendraient particulièrement intéressante la constitution de groupes homogènes constitués d'agents provenant des deux directions départementales. On souhaiterait au moins la mise en place de structures mixtes, ponts entre les deux services, composées de cadres et plus généralement de personnels des deux origines, des deux cultures et dotés de véritables capacités d'action... (il s'agit de postes stratégiques, donc le choix des cadres est important). Mais on sent bien que vouloir une fusion efficace et rapide, c'est se préparer à ramer à contre-courant et que ça risque d'être usant et vite démotivant. La technique pourrait donc être d'étudier au cas par cas des scénarios de rapprochement en douceur, dont les effets seraient tellement positifs que tout retour en arrière deviendrait inimaginable... cela suppose un travail extrêmement minutieux dans les quinze départements expérimentaux. Il faudra aussi être extrêmement vigilant à l'affichage de l'approche nouvelle du domaine de l'environnement, pour être crédible.

 

Sous quelles réserves ?

Si la fusion peut apporter des gains d'efficacité par économie d'échelle, il faut garder présent à l'esprit que cela ne doit pas se traduire par une compression de l'effectif. Pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que l'énergie nécessaire à l'intégration parfaite des problèmes d'environnement dans nos productions est considérable... et cela pas tellement (ou pas seulement) parce qu'actuellement cette préoccupation est négligée, mais surtout parce que ces problèmes s'abordent de nos jours d'une toute autre façon qu'il y a quelques années: les associations d'usagers sont devenues de légitimes partenaires d'un dialogue sur l'environnement, et qui dit dialogue dit temps. Ce temps, c'est du temps passé par des agents. De même qu'on constate que l'introduction de la D.A.O., plutôt que de faire gagner du temps sur un projet permet d'en présenter plusieurs variantes dans le même laps de temps, il faut que les gains de productivité pouvant résulter de la fusion D.D.E./D.D.A.F. soient totalement réinvestis dans le développement d'une politique de dialogue avec les usagers dès la phase d'initialisation d'un projet. C'est là la clé de la réussite. Utiliser ces gains pour réduire les effectifs serait une erreur grave, d'une part sur le plan psychologique pour les personnels, d'autre part sur le plan de l'efficacité et de la crédibilité de la nouvelle structure .

Ensuite, parce que l'harmonisation des méthodes de travail peut dans certains cas être consommatrice d'effectifs d'une certaine catégorie et libératrice d'une autre. (Par exemple, les I.T.R. et T.G.R. assurent, dans la grande majorité des cas, la surveillance directe de leurs chantiers. Lors de la fusion, cette surveillance se verrait assez logiquement reportée sur des contrôleurs, s'ils existent, libérant ainsi du temps d'ingénieurs et de techniciens pour les tâches de mise au point des projets.)

Autre réserve, qui consiste à ne pas créer des petits services qu'on n'aurait pas voulu intégrer et qui se retrouveraient isolés avec les difficultés que cela représente du point de vue de la logistique, mais aussi de la mobilité des personnels et de leur ambiance de travail. Cependant, il faut que le tout garde le pas sur les parties et qu'une cohérence se dégage de cette fusion. On peut imaginer que la redistribution de certaines tâches entre l'échelon départemental et l'échelon régional (ce dernier n'étant pas fusionné), permettrait de garantir cette cohérence dans le nouveau "service départemental d'aménagement des espaces urbains et ruraux".

D'autre part, la fusion ne doit pas conduire à la juxtaposition de services dépourvus d'une identité de groupe. Actuellement, il ne fait aucun doute que l'identité D.D.E. (voire plus généralement "Equipement") existe avec beaucoup de force, fruit d'une longue histoire qui a aussi connu des séparations et des fusions. L'unicité de gestion, le fait que pratiquement tous les postes d'encadrement peuvent indifféremment être tenus par des ingénieurs issus du même corps (lequel a cultivé son identité propre, en particulier depuis la création de l'E.N.T.P.E., comme le souligne bien le rapport du groupe de travail "Quel I.T.P.E. dans dix ans ?") expliquent en partie cette forte identité.

Sans doute cette identité peut-elle sans difficulté se retrouver dans une fusion avec la partie "Génie Rural" des D.D.A.F. Pour ce qui est des domaines agricoles et eaux et forêts, la question reste ouverte... Pour alimenter la réflexion à ce sujet, rappelons que le Ministère de l'Agriculture emploie 960 ingénieurs en services extérieurs, dont 580 I.T.R., que les 200 I.T.A. sont essentiellement présents dans les D.R.A.F. et que les 180 I.T.E.F. se répartissent moitié moitié entre D.D.A.F. et D.R.A.F. On peut tout à fait imaginer une répartition différente des rôles entre D.D.A.F. et D.R.A.F. pour "homogénéiser" la culture de l'entité qui naîtrait de la fusion D.D.E. / D.D.A.F.

 

 

VI – LA LOI JOXE :   Une réforme politique et des mutations de structures administratives

Le projet de loi d'orientation, relative à l'administration territoriale de la République, s'inscrit dans le processus de décentralisation, initié en 1981. Annoncé dans l'article 1er de la loi du 2 mars 1982, il doit en parachever la construction.

La décentralisation a consacré le rôle des collectivités territoriales dans la fourniture des services publics, la déconcentration des services de l'État est son corollaire : I'Etat doit s'adapter aux nouvelles règles du jeu.

Le choix de la voie législative, proposée par le gouvernement pour réorganiser l'administration territoriale, montre l'importance qu'il y attache, alors que le Sénat aurait préféré la voie réglementaire, en l'occurrence suffisante. Le projet se veut le gage d'une décentralisation réussie et la condition du renouveau du service public.

Ci-après nous présentons les principales dispositions des titres I et III de la loi :

  • DE L'ORGANISATION LOCALE DE L'ETAT ;
  • DE LA COOPERATION LOCAL

ces deux aspects étant les plus à même d'influer l'évolution de nos structures.

Le titre II précise le droit des habitants à participer activement à la vie locale et à peser plus fortement sur les décisions des conseils municipaux autrement que lors des élections, facilite le travail des élus minoritaires et leur possibilités d'expression, renforce le pouvoir des minorités aux Conseils Généraux et Régionaux en leur donnant accès à la commission permanente (ex bureau), renforce le pouvoir de contrôle du Préfet sur les actes des collectivités.

Le titre IV, reconnaît le droit aux collectivités territoriales de conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères.

La réorganisation des services de l'État qui découle de la déconcentration de ses pouvoirs et la coopération intercommunale vont évidemment bouleverser les structures territoriales dans lesquelles s'inscrivent nos métiers. Il s'agit de s'interroger sur l'évolution des structures existantes et la création de nouvelles entités, bref sur la nouvelle répartition de l'exercice du service public.

En ce qui concerne l'organisation territoriale de l'État, il ne s'agit pour l'instant que d'intentions du gouvernement, dont on sait qu'elles ne se concrétisent pas toujours. Néanmoins, le principe de déconcentration (sous produit du principe de subsidiarité) affiché au bénéfice principal de la région, et la réorganisation dans les départements des grands services de l'État sous l'autorité "opérationnelle" des Préfets risque de conduire à la radicalisation de la position des Présidents de Conseils Généraux sur le sujet du devenir des subdivisions.

La logique des principes pourrait se traduire par une remise en cause fondamentale de l'actuel schéma de l'implantation territoriale des services, en particulier de notre ministère. Cependant, les métiers que nous exerçons dans ces structures restent nécessaires, et nous avons déjà pris l'habitude de "servir" plusieurs maîtres... d'ouvrage.

Dans les services déconcentrés de l'État, nous continuerons à remplir nos tâches traditionnelles de programmation, de conseil à la maîtrise d'ouvrage au niveau de la région (pour ce qui est des schémas d'éducation, de formation, d'aménagement du territoire et de réalisation d'équipements structurants), et de maîtrise d'œuvre des grands équipements.

Une évolution vers le libre choix des départements, ainsi "alignés" sur les autres maîtres d'ouvrages publics (communes, S.l.V.O.M., etc.), nous conservera une part importante de l'ingénierie technique dans les domaines de compétence des Conseils Généraux.

Nous verrons surtout évoluer notre rôle de conseil à la maîtrise d'ouvrage auprès des nouvelles communautés (de communes et, à un niveau supérieur, de villes).

En effet, on peut concevoir que beaucoup de communautés de communes atteindront une taille critique suffisante pour se doter en propre d'un service technique, plus ou moins étoffé suivant la volonté des élus, la nécessité de pallier une offre de service insuffisante de la part des structures de l'État, conjoncturellement ou consubstanciellement exsangues, ou le rapport qualité/prix des différentes solutions (régie directe, S.E.M., recours à l'Équipement ou au secteur privé). Il n'en est pas moins vrai que, à moins d'y consacrer un budget sans rapport avec le service rendu, ces communautés de communes ne pourront s'attacher les services d'une panoplie d' " experts " à même de les conseiller (voire de réaliser des missions de conduite d'opération, ou de maîtrise d'œuvre "pointues") pour leurs projets de voirie, d'assainissement, de constructions publiques, d'organisation urbaine...: la taille de nos actuelles subdivisions n'y suffit d'ailleurs en général déjà plus.

En ce qui concerne les communautés de villes, à l'image des structures déjà existantes que sont les districts ou les communautés urbaines, les services techniques solides dont elles se doteront (ou dont elles sont déjà dotées) doivent pouvoir trouver toujours davantage dans les services de l'État, un niveau élevé d'expertise alimenté par un réseau national de formation initiale et continue, de recherche et d'échange d'expériences.

Dans les deux cas, cela signifie que nous devons faire progresser notre capital de compétence technique pour rester au top niveau (ou le reconquérir parfois), pour être la meilleure réponse à cette demande nouvelle. Nous devrons progresser continuellement, que ce soit dans le sens du perfectionnement dans des domaines pointus pour y conserver (ou y atteindre) une haute technicité, ou dans notre capacité à intégrer les données des domaines variés qui interviennent dans un projet d'aménagement (depuis les notions de sociologie urbaine jusqu'aux notions techniques, en passant par des notions d'économie...). Ces compétences, mais aussi notre histoire qui a toujours fait de nous des interlocuteurs ouverts et efficaces, nous permettront de tenir un rôle de premier plan en tant qu'animateur des politiques d'aménagement.

Le rapport du groupe de travail sur la Territorialité montre bien ce souci de développer la compétence multi-modale qui nous caractérise, tout en maintenant un niveau de proximité satisfaisant pour les élus, leur apportant un conseil toujours ressenti comme "personnalisé".

La même préoccupation doit nous habiter lorsqu'on réfléchit sur les autres parties de nos structures, en particulier lorsqu'on envisage une organisation commune aux actuelles D.D.E. et D.D.A.F., ou lorsqu'on évoque les mutations du réseau technique : le débat sur l'enveloppe juridique (Etablissement Public...) ne doit pas masquer celui sur le niveau d'intervention, la répartition des domaines de compétence, le développement de l'expertise.

Les départements, eux, pour exercer leurs compétences, adapteront leur organisation en fonction de leurs particularités, passant du stade de client captif à celui de client libre. Il faut en tenir compte dans l'organisation de l'offre de compétences opérationnelles que peuvent et doivent maintenir les structures de l'État : actuellement, elles sont dimensionnées pour répondre non seulement à ses stricts besoins, mais aussi à ceux des collectivités locales. Encore une fois, c'est au plus haut niveau de compétence technique que l'offre de services de l'État devra s'établir pour garder toute sa pertinence.

D'ailleurs des domaines nouveaux, dont l'échelle dépasse les groupements de communes (voire la limite d'un département) s'ouvrent à   nous : qu'il s'agisse des problèmes de cadre de vie, de politique de l'eau, de prévention des risques majeurs, tout est à inventer dans notre façon d'organiser notre intervention dans ces domaines.

 

 

 

TITRE I ET III DE LA LOI JOXE

La réorganisation de l'administration territoriale développée dans les titres I et III complète définitivement l'architecture la décentralisation par la mise en œuvre des principes suivants:

-le principe de base est, pour l'administration de l'Etat, la déconcentration systématique, affirmant ainsi la prééminence désormais conférée aux administrations locales sur les administrations centrales. L'unité d'action de l'Etat qui est un principe de la République, est garantie par un "recentrage" des services territoriaux déconcentrés, sous l'égide du corps préfectoral qui voit son autorité renforcée dans les régions et des départements;

- le cadre territorial comporte trois niveaux : la région, le département et l'arrondissement fournissant les interlocuteurs ad hoc aux différents niveaux des collectivités créées, renforcées ou confirmées par la décentralisation: régions, départements, communes et regroupements de communes ;

-un cadre fonctionnel plus strict, précisant que les services extérieurs de l'Etat sont regroupés par pôle de compétences (cf. expérience D.D.E.-D.D.A.F. dans le domaine de l'eau) ;

- cette mise à niveau de l'appareil territorial de l'Etat ne serait pas pleinement efficace et rationnelle sans l'incitation à la coopération au regroupement communal (villes et communes), dont l'objectif avancé est, par ailleurs, de promouvoir le développement économique local et un aménagement plus équilibré de l'espace.

 

TITRE 1 - DE L'ORGANISATION TERRITORIALE DE L'ETAT

C'est un décret pris en application de l'article 5 portant charte de la déconcentration qui précisera les modalités des transferts d'attributions, ainsi que les principes d'organisation des services extérieurs.

Ce projet de charte de la déconcentration, définit les compétences des trois niveaux d'administration territoriale de l'Etat qui correspondent à ceux des collectivités "décentralisées". La charte constituera l'aboutissement des démarches du projet d'administration déconcentré.

La circonscription régionale est l'échelon territorial de mise en œuvre des politiques nationales et communautaires en matière de développement économique et social et d'aménagement du territoire. Elle est le cadre d'élaboration des stratégies permettant d'atteindre les objectifs fixés par le gouvernement grâce à la planification et à la contractualisation des programmes pluriannuels, engageant l'Etat et les collectivités locales.

C'est un comité interministériel dit de l'administration territoriale, regroupant les ministères concernés (intérieur, budget, fonction publique, aménagement du territoire...), qui définit et évalue la politique gouvernementale en matière de déconcentration : création de structures, harmonisation géographique, simplification, mesures de déconcentration. Le cadre pour l'organisation et le fonctionnement des services territoriaux de l'État étant le regroupement par pôle de compétences (lorsque les attributions et les objectifs sont complémentaires) et l'harmonisation de la gestion des ressources par un collège de chefs de service sous la présidence du Préfet.

Dans un délai de deux ans après la parution du décret, le gouvernement doit arrêter un schéma d'organisation des services de l'État dans les régions, les départements et les arrondissements, après avis du comité.

 

TITRE III - DE LA COOPERATION LOCALE

C'est la partie essentielle du projet de loi qui fait et fera l'objet des débats les plus serrés car elle met en jeu l'héritage historique concernant l'architecture du découpage administratif de la République en offrant en particulier, à la coopération intercommunale, de nouvelles possibilités pour de nouveaux champs d'intervention (développement économique, aménagement de l'espace).

La coopération intercommunale existe, (S.l.V.O.M., S.l.V.U....), mais est traditionnellement réservée au domaine technique des gestions d'infrastructure et de services techniques : électrification, eau, voirie, ordures ménagères...

Deux nouvelles formules de coopération sont proposées aux communes : la communauté de communes, la communauté de villes, sous la forme d'établissements publics. On notera aussi une nouvelle possibilité pour les régions : I'entente interrégionale qui exercerait des compétences en lieu et place des régions.

L'objectif est de remédier aux inconvénients de la situation actuelle d'émiettement des communes: inégalités de traitement entre les usagers ou les entreprises se trouvant dans des communes différentes, dilution de certaines responsabilités, absence de vision globale pour mener à bien des politiques ambitieuses et surcoût dans la gestion de certains services. Cet objectif serait atteint en privilégiant une approche souple et pragmatique, écartant regroupement et fusion autoritaire, pour une coopération librement consentie.

Les compétences
Les communautés de communes, doivent exercer, en lieu et place des communes membres, les compétences relevant d'au moins trois des quatre groupes suivants: I'aménagement de l'espace et l'élaboration des documents d'urbanisme prévisionnel, la poli- i tique du logement et du cadre de vie, le développement économique et la protection et la mise en valeur de l'environnement.

Les compétence relevant des communautés des villes sont élargies à deux blocs de compétences supplémentaires : la voirie d'agglomération et les transports urbains d'une part, la culture, le sport, I'enseignement, la formation et la recherche d'autre part.

Les incitations à la coopération
Elles sont de deux ordres :
- la procédure elle-même d'institution de ces communautés est fortement incitative, en ce sens qu'elle provoquera une réflexion globale sur les avantages de l'organisation en structures nouvelles, plus puissantes et plus efficaces. Menée sur deux ans environ, cette procédure devrait avoir un fort effet d'entrainement ;
- d'autre part, le projet de loi prévoit expressément les ressources dont bénéficieront les communautés : elles seront d'une part, d'origine fiscale et d'autre part, constituées de dotations de l'Etat. Les communautés de communes bénéficieront toutes d'une fiscalité propre et percevront ainsi le produit de taxes additionnelles aux quatre taxes locales. Elles pourront en outre, instituer un taux unique de la taxe| professionnelle dans les zones d'activités situées sur leur territoire, zones qu'elles créeront ou dont elle assureront la gestion. Les communautés de villes, elles, percevront en lieu et place des communes membres, le produit de la taxe professionnelle sur l'ensemble du territoire de l'agglomération.

L'unification du taux de la taxe professionnelle est prévue sur une période de dix ans, de manière à favoriser une répartition plus équilibrée des implantations économiques aussi bien dans les agglomérations qu'en milieu rural.

Toutes les communautés recevront des  dotations de l'Etat: D.G.F. et D.G.E. Elles bénéficieront, en outre, des attributiains do fonds de compensation de la T.V.A. l'année même de l'attribution des dépenses éligibles en dérogation au droit commun.